C'est donc fini, vous voulez que je chante,
Je n'ai point de voix, mais je suis bon enfant,
Car ici-bas tout le monde se vante,
L'un se dit fier, l'autre vaillant.
Moi, pour vous plaire, je suis obéissant.
Mais, bah ! tout ça, ce ne sont que des paroles,
Chacun se croit plus parfait à ses yeux
Quand dans le gousset il y a des pistoles,
Les paysans valent bien les messieurs,
Valent bien, valent bien,
Les messieurs !
Où est le temps où j'allais à l'école,
Je me promenais tout le long du chemin,
Chaque caillou pour moi était une boule.
Quand je rencontrais un gamin du faubourg
Qui me disait: "Paysan de misère!",
Je lui disais: "Tu as bien l'air d'un canut!"
Nous nous attrapions tous les deux par la tignasse,
Les paysans valent bien les messieurs! (bis)
Et plus tard je commençais à m'en croire,
J'avais quinze ans et j'étais bien planté.
Vite au premier bouchon j'allais boire,
J'avais déjà une pipe culottée, (bis)
Je portais mon chapeau sur l'oreille,
Quand je voyais un bourgeois fanfaron,
Pour le narguer, je criais: "Encore bouteille!"
Les paysans valent bien les messieurs! (bis)
À dix-huit ans c'était bien une autre affaire,
J'étais moins gai, j'avais plus de soucis.
Au cabaret je ne savais que faire,
Je ressemblais à un amoureux transi, (bis)
Si je voyais passer une fille légère,
Sans lui parler, je la buvais des yeux,
Si j'avais su lui raconter une histoire!
Les paysans valent bien les messieurs! (bis)
Au Pelleru quand nous allions à la danse,
- Mais ce n'était pas comme aujourd'hui -,
Nous étions huit pour faire une contredanse,
Mais le plus fort, c'est que nous étions seize à la fois! (bis)
Mais aujourd'hui tout le monde s'en mêle,
Grands, gros, petits, bourgeois et gueux,
Au milieu des dames un rustre vient se mêler,
Les paysans valent bien les messieurs! (bis)
Y'en a-t-il des danses, des luttes, des batailles,
Depuis qu'on voit tant de révolutions!
Les musiciens ne font que ripailler,
Surtout quand ils ont bu quinze à vingt bouteilles, (bis)
Au lieu de dire: "Allons, en avant quatre!",
Ils crient tous: "Au grand galop", c'est curieux!
Les garçons disent: "S'agit-il de se battre?",
Les paysans valent bien les messieurs! (bis)
Mais à vingt ans j'avais une autre trogne,
Fines moustaches, élégants favoris,
Et j'étais fier comme un pou sur la gale,
Tambour major des conscrits du pays,
Quand je voyais passer une demoiselle
Qui me lançait un regard dédaigneux,
Je lui disais: "Ne fais pas la mutine,
Les paysans valent bien les messieurs!" (bis)
À vingt cinq ans, j'avais roulé dans la France,
Je n'étais pas plus riche pour tout ça,
J'avais connu peine, plaisir, souffrance,
Mais j'étais innocent du mariage. (bis)
Je me dis: "Jean, allons, pas de bêtises,
Il est temps de penser au sérieux,
Si, comme les autres, tu fais la bêtise,
Les paysans valent bien les messieurs!" (bis)
Et aujourd'hui je suis une vieille croûte,
Car tous les jours, j'en prends un de plus,
Je ne suis plus bon qu'à me mettre à l'abri,
Avec un ami maniaque, un gommeux, (bis)
Et nous raconter nos farces de jeunesse,
Ce qu'on a fait, ce qu'on a dit et vu,
Pour se vanter, tousser, cracher sans cesse,
Les paysans valent bien les messieurs! (bis)
Adieu, c'est dit, car je commence à croire
Que bientôt il me faudra partir.
Je ne suis pas curieux, mais je voudrais bien voir
De loin l'Enfer, de près le Paradis, (bis)
Mais j'ai toujours été un bon apôtre,
Je veux aller où on sera le mieux,
Car pour aller dans l'un comme dans l'autre
Les paysans valent bien les messieurs!
Valent bien, valent bien les messieurs (bis)
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